Alors les vacances ? 5eme épisode, plonger dans un autre temps, ou l’exposition Les jours sans
Il y a quelques mois, j’avais reçu le dossier de presse de l’exposition « Les Jours sans – Alimentation et pénurie en temps de guerre », consacrée à l’alimentation des Français pendant la deuxième guerre mondiale. Malheureusement pour moi, cette exposition se déroulait à Lyon, au CHRD (Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation), mais elle m’a attirée par ce thème de la relation particulière et centrale de la nourriture durant cette période. Du coup, j’ai profité de l’été pour faire une courte escapade à Lyon. L’exposition est d’ailleurs centrée principalement sur l’expérience vécue dans la région.
Probablement, certains d’entre vous avez des arrière grands-parents, grands-parents, parents selon votre âge qui vous ont raconté leur vécu pendant cette période, qui ont rendu cette période un peu concrète pour vous.
Sinon, il est difficile d’imaginer dans notre monde d’abondance actuel ce qu’ont vécu les personnes pendant ces années, les femmes qui passaient des heures à faire la queue sans forcément de résultat, la faim souvent ressentie sans pouvoir la combler, notamment quand on était adolescent avec des besoins importants, la débrouille pour bricoler des semblants de repas, les ersatz d’aliments, qu’il s’agisse du sucre, du café, remplacé par des mélanges divers (photo ci-dessous), …
La pénurie commence très vite au début de la guerre. Outre le manque bien réel, intense et durable de nourriture, l’organisation du rationnement a mis du temps à se mettre en place, avec notamment les tickets par âge ou métier. Les « J3 » adolescents ou les travailleurs de force ont, c’est logique, vu leurs besoins énergétiques, droit à des rations plus importantes. En théorie, car bien souvent, les femmes font des heures de queue pour trouver des rayons vides…
D’ailleurs, la colère gagne peu à peu devant les difficultés à trouver de quoi se nourrir et d’autant plus quand les personnes apprennent qu’une part non négligeable de l’approvisionnement est destinée aux Allemands (les pommes de terre notamment). Le gouvernement de Vichy est obligé de lâcher du lest à partir de 1941. Il autorise le « marché rose« , consistant à pouvoir recevoir ou aller chercher des colis et provisions alimentaires dans la campagne environnante. Heureux ceux qui avaient dans leur famille ou leurs proches des paysans pourvoyeurs de denrées de première nécessité. Et il tolère le « marché gris » de troc de produits manufacturés contre des denrées alimentaires. Reste illégal le marché noir, mais c’est le plus important, pour ceux qui peuvent y accéder. Par ailleurs, les consignes du pouvoir pouvaient être assez étranges. On apprend par exemple qu’on avait demandé aux boulangers de vendre le pain rassis, le lendemain de sa fabrication, afin de le rendre moins attractif….
L’exposition fait ressentir ce qu’ont été les difficultés de cette période. Il y a par exemple des témoignages audio de personnes qui étaient enfants ou adolescents et racontent quelques souvenirs, que ce soit la grande maigreur vécue alors, ou l’horreur durable des rutabagas. Il faut être né bien après la guerre pour avoir envie d’en manger, de même pour les topinambours… L’objectif de la collecte de ces témoignages était en effet à la fois d’évoquer des souvenirs mais aussi d’en raconter la trace qui a perduré. Et en effet, s’est transmis souvent de génération en génération la peur d’avoir faim, l’incapacité à gaspiller, la nécessité donc de finir son assiette, le savoir-faire pour accommoder des restes. Selon les familles, certains aspects se sont toutefois perdus au fil du temps et du développement de la société de consommation, avec son abondance, ses facilités et ses tentations, qui a mis à mal ces principes.
L’ambiance générale de l’exposition
On pourrait vraiment pour cette période parler de la « charge mentale des femmes« , ce sujet d’actualité, car elles devaient faire des heures de queue, imaginer des solutions pour trouver le basique indispensable, être créatives en matière de recettes sans les aliments usuels pour que les plats restent un peu appétissants… Débrouillardise et ténacité étaient des qualités essentielles mais j’imagine que le découragement devait être parfois plus fort… Le sujet des femmes était orienté. Le gouvernement de Vichy voulait en effet promouvoir une femme épouse et mère, qui s’occupe valeureusement de sa famille… Les magazines féminins proposaient quantité de recettes de restriction. L’exposition met ainsi en avant les écrits d’Edouard de Pomiane, récemment réédité par Menu Fretin, qui tentait de proposer des solutions adaptées aux temps difficiles.
Il y a eu par exemple un livre de recettes à base de miettes de pain (remplaçant la farine). Il était en effet devenu un réflexe d’utiliser absolument tout ce qu’on avait sous la main pour composer des plats le plus acceptables possible.
Le recul par l’humour et les chansons (une parodie de « J’ai du bon tabac » par exemple) resta toutefois présent, sans doute indispensable pour supporter la dureté des temps…
L’aspect médical et santé est aussi abordé. Il est clair que la pénurie alimentaire a entraîné maladies, carences, problèmes de croissance et nombre de morts de dénutrition durant cette période même si cela n’a pas été quantifié précisément.
Il est d’ailleurs précisé que la Libération et la fin de la guerre, après une période d’euphorie, n’ont pas marqué la fin du rationnement. Celui-ci a continué et ce n’est que deux-trois ans environ après la fin de la guerre que la situation est revenue à la normale, avec un approvisionnement suffisant.
Un dernier volet présente quelques aspects de la nourriture dans les camps de concentration. Contexte alimentaire bien différent, bien plus privatif encore, assurant à peine la survie, et humiliant quand, par exemple, on ne dispose pas de couverts pour manger. Cela m’a fait penser à un témoignage de Simone Veil au sujet de l’impossibilité fondamentale de raconter ce qui s’était passé, au retour des camps. Elle donne ainsi une anecdote où elle essaie d’expliquer la privation de nourriture et une amie lui rétorque quelque chose du style : ah oui, c’est comme nous qui devions faire plusieurs km pour trouver des aubergines… (il me semble, je n’ai pas retrouvé l’émission où elle raconte cela). Il y avait aussi cependant le pouvoir d’évocation des recettes de cuisine que l’on se racontait, que l’on écrivait tant bien que mal pour se souvenir et rêver. Ou les recettes qui étaient un moyen de crypter des messages. Cela est évoqué par Jacky Durand ici.
Si vous voulez avoir un éclairage complémentaire du sujet, une émission La Marche de l’Histoire de France Inter y a été également consacrée : Les Jours sans 1939-1949.
Avez-vous dans votre famille des témoignages de ce temps ? Ressentez-vous encore les effets de ce qui a été vécu alors ?
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Ajout du 01/09/2017
Jacky Durand a fait un beau et large compte-rendu de l’exposition dans Libération
Article PAS-SION-NANT !
2 de mes enfants habitent Lyon ou presque, je vais les inviter à aller voir cette expo…
Nous avons retrouvé, mes frères et soeurs et moi, une feuille de tickets de rationnement de notre père (né en 25). Cette feuille datait de 1949: à Brest, en 1949, il y avait encore du rationnement…
L’art d’accommoder les restes, le refus du gaspillage, je crois que mes parents nous ont transmis ça sans nous angoisser avec le « manque possible » ou avec la « morale »
Je fais du pain perdu, des gratins… des compotes avec les fruits qui commencent à être moins appétissants. C’est vrai que je n’aime pas jeter.
Maintenant, les restes sont au moins compostés s’ils ne peuvent être accommodés.
@Geneviève merci beaucoup pour ce retour ! et vous me faites penser que je vais ajouter une ou deux phrases sur un aspect important que j’ai omis, le rationnement ne s’est pas arrêté avec la fin de la guerre…
l’expo a l’air très intéressante et dans ces temps de surabondance cela fait réfléchir. Ma mère qui est née en 30 a connu la guerre, les privations et les tickets de rationnement. D’après elle cela a été nettement plus dur après la guerre, à la libération que pendant la guerre. Oui les allemands mangeaient toutes les pommes de terre d’où leur surnom de « Doryphore ». Enter elle et ses 2 frères, il y avait des « tours » pour lécher ou saucer les plats. ET évidemment rien n’était jeté, et le morceau de sucre était une fête et les américains avec leurs barres de chocolat et chewing gum ont été largement applaudis. Elle m’a transmis le souci de ne rien jeter et d’accommoder les restes et également de ne pas prévoir des portions gigantesques par personne ! Quand je vois à certains barbecues la quantité de viande grillée par personne, je suis effarée.
@ln22 merci de ce partage, voilà une sage transmission même si l’origine ne fut pas facile
Mes parents nés dans les années 30 ont vécu le rationnement, mais comme ils vivaient à la campagne, à part le mauvais goût des rutabagas et autres topinambours, ils ne se souviennent pas d’avoir eu faim. Par contre, ma grand-mère du côté maternel a déployé beaucoup d’ingéniosité pour habiller ses enfants en recyclant les vêtements et chaussures.
Je garde cette idée de ne pas gâcher, je jette très rarement de la nourriture, je composte ce que je ne peux plus utiliser, et je donne quelques déchets aux oiseaux du jardin.