La balance, instrument de mesure ou de torture ?
Je poursuis ici la retranscription, éventuellement légèrement remaniée, de certains épisodes de BCBT Le Podcast pour les personnes qui préfèrent (ou sont obligées de) lire plutôt qu’écouter. Ici, le 20e épisode.
Ah, la balance… ce simple objet, instrument de mesure qui peut devenir aussi instrument de torture pour tant de femmes. Sujet complexe sur lequel il y a tant à dire. J’avais pour cet épisode solllicité des témoignages et ils n’ont pas manqué ! Comment ce simple objet et ce qu’il indique peut-il devenir source de tant d’émotions ? Parfois joyeuses quand le chiffre vous plaît, parfois source de tristesse, de colère, d’autocritique, quand le chiffre n’est pas celui que vous attendiez. On la déteste souvent, et parfois on finit par la reléguer dans un placard, voire la jeter tellement on a de ressentiment. Est-ce qu’il y a beaucoup d’objets dans votre maison qui suscitent une relation si passionnelle ?
Comment a commencé votre relation avec la balance ?
Est-ce qu’il y a, au début, une affaire de famille ? Pourquoi, à partir de quand, se peser ? Est-ce qu’il faut vraiment peser un bébé ? S’il mange, grandit, grossit normalement, probablement que les pesées du pédiatre suffisent. Idem pour les enfants, si leur croissance parait normale, les visites chez le médecin peuvent suffire à assurer un suivi du poids.
Mais peut-être certaines d’entre vous ont commencé à se peser enfant, par simple imitation, parce
qu’une balance trônait dans la salle de bains, parce que vous avez vu votre mère monter dessus. Vous
rappelez-vous, enfant, avoir vu votre mère se peser ? Fréquemment ? Avez-vous observé l’impact de ce
geste sur son humeur ? Avait-elle des soupirs, des exclamations ? Ou est-ce qu’elle faisait ça cachée, la
porte fermée ? A quel moment avez-vous commencé à vous peser ? Vous en souvenez-vous ? Est-ce
que cela vous paraissait normal ? Ou peut-être que vous ne l’avez pas fait, ou bien plus tard.
Certaines femmes qui me consultent n’ont ainsi aucun souvenir de leur poids en fin d’adolescence ou
jeune adulte. Est-ce qu’il y a un moment où il vous est apparu normal, voire indispensable, d’acheter une
balance ? Est-ce que vous vous lanciez dans un régime et souhaitiez pouvoir contrôler l’évolution de
votre poids, mesurer l’atteinte de l’objectif ?
Un fort impact de la balance sur l’humeur
Peut-être êtes-vous alors entrée dans cette alternance stressante : le chiffre baisse, tout va bien ; le chiffre monte, catastrophe. Vous avez découvert la terrible influence de cet objet sur votre humeur. Ce
que raconte Emmanuelle : « Avant, je me pesais presque tous les jours et mon moral dépendait de ça. Je me sentais hyper triste et je culpabilisais même pour deux cents grammes de plus que la veille, alors je prenais des laxatifs. Quand je perdais par contre, je me sentais très bien et toute ma journée était illuminée. » Est-ce que ce n’est pas fou que ce chiffre, ces infimes variations, aient tant d’influence sur votre moral ?
Et cela peut devenir obsessionnel. Véronique dit : « Satisfaction à la vue du chiffre qui baissait, colère et mépris envers moi quand il remontait. Parfois je me pesais plusieurs fois par jour avec un objectif de perte de poids et pour vérifier que je le maintenais. » Betty : « Elle a été mon obsession pendant des années. Je me pesais dix fois par jour : après avoir mangé, après avoir couru pour effacer ce que j’avais
mangé. »
Donc un outil de contrôle, un outil pour se rendre malheureuse, mais parfois on ne veut plus savoir parce que c’est trop difficile. Lily par exemple dit : « Je me pèse régulièrement quand je perds du poids, mais si je prends quelques kilos je n’ose pas imaginer monter dessus, elle me fait peur. » On lui attache beaucoup d’importance, on la considère comme une amie quand elle apporte des bonnes nouvelles,
comme une ennemie quand le chiffre monte. Et du coup, comme Lily, quand on reprend du poids, on a
envie de se protéger, c’est normal.
Et il arrive souvent qu’on fasse un petit peu l’autruche, on arrête de se peser parce que c’est trop
difficile. Peut-être que c’est trop inquiétant de voir un passage de dizaine, un poids qu’on n’aurait jamais
imaginé faire un jour. On préfère s’éloigner de la balance, parce qu’à ce moment-là, affronter les raisons
complexes de la prise de poids n’est pas toujours simple. Et donc, parfois on oublie assez longtemps
ce repère externe ; si, dans le même temps on est déconnectée de son corps, on peut prendre
beaucoup de poids sans s’en rendre compte, et ensuite incriminer l’absence de la balance comme
responsable. Alors qu’on a repris du poids pour des raisons émotionnelles ou souvent du fait du lâchage
qui a suivi la restriction, pas parce qu’on a arrêté de se peser.
Souvent, donc, la balance agit fortement sur le moral et elle peut aussi agir sur le comportement, ce que dit Sophie par exemple : « Quand j’ai pris du poids, je culpabilise, mais quand j’ai perdu quelques kilos, je mange trop ensuite. » J’explique souvent à mes patientes ce mécanisme : le chiffre monte, on se dit «je
suis nulle, je n’y arriverai jamais, autant manger, et puis ça ne va pas donc je vais manger pour me
réconforter.» Et puis quand le chiffre baisse, comme le dit Sophie « puisque je perds du poids je peux
me lâcher un petit peu »
Conserver ou abandonner la balance ?
Donc cette balance, globalement, nous rend quand même plutôt malheureuses. Est-ce qu’il faut alors l’abandonner ? Beaucoup des témoignages que j’ai reçus semblent aller dans ce sens. Cathy : « Je n’en ai plus, je suis ronde, c’est comme ça, et je n’ai aucune idée de ce que je pèse ». Élise : « Après une
relation obsessionnelle de quinze à vingt-cinq ans, j’ai complètement cessé de l’utiliser et ça va beaucoup mieux. Mes seules pesées se font chez le médecin. »
Quand on a un poids stable, on peut tout à fait s’en passer et se fier à ses vêtements. Pour ma part, je ne suis pas dogmatique : quand on me pose la question, j’explique l’impact émotionnel qu’elle peut avoir, comme on l’a vu, et j’interroge la personne : pense-t-elle pouvoir observer le chiffre calmement, en
le mettant en relation avec son comportement ? Quand on est dans une démarche de perte de poids, je comprends qu’on puisse se sentir rassurée par ce repère externe, le temps de prendre confiance en soi, en ses sensations, en son ressenti corporel.
Il y a aussi certaines personnes qui ne veulent surtout pas se peser, elles ont trop de souvenirs
douloureux liés à la balance, et je respecte tout à fait cela. Si la personne souhaite se peser, j’essaie de
l’inciter à ne pas le faire trop souvent, je lui explique que les variations quotidiennes n’ont pas de
signification. Si elle ne le souhaite pas, elle peut avoir des repères par rapport à ses vêtements.
On peut aussi l’abandonner. Jeanne nous dit : « Après avoir eu un relation conflictuelle et fusionnelle
avec elle, qui virait à l’obsession, je l’utilise une fois par mois environ. C’est un grand avancement vers la
paix avec mon corps. » Chantal : « Je trouve plus saine la relation directe au corps, à la limite le verdict
des fringues. » Ce que disent aussi Dalva ou Jeanne : « On peut se fier à son pantalon, à ses
vêtements. » Effectivement c’est ce que je suggère parfois à mes patientes : avoir des « vêtements
repères ». Olivia a visiblement fait un chemin aussi pour s’en libérer : « Avant je ne la lâchais pas mais je
la détestais, je lui donnais bien trop d’importance. Aujourd’hui je ne la rencontre que très rarement, par
obligation quand les médecins me demandent de monter dessus. »
Se libérer du chiffre du poids
Je voudrais quand même préciser quelque chose à ce sujet : vous n’êtes pas toujours obligée de monter
sur la balance quand un médecin vous le demande, si vous n’avez pas envie de connaître votre poids.
Je crois qu’il faut distinguer d’une part la vraie nécessité d’avoir votre poids pour un traitement, un
médicament, une anesthésie… quelque chose qui nécessite des calculs, des choix proportionnels à votre
poids. Par exemple, je donnais parfois mes plaquettes, et on me demandait mon poids pour régler le
prélèvement. Peu-être souhaitez-vous disposer d’un suivi dans la durée par votre médecin. Mais si vous sentez qu’il a surtout envie de vous faire la morale parce que vous êtes un peu en surpoids ou que n’avez pas envie d’avoir ce chiffre, vous pouvez tout à fait refuser qu’il vous pèse. C’est vraiment à vous de décider, dans ce cas là.
Liberté et transmission
Donc, on peut apprendre à se libérer de cet objet, l’abandonner ou le regarder calmement de façon occasionnelle. Thérèse nous dit : « Je n’en ai jamais acheté et je ne m’en porte que mieux, c’est
un truc qui ne me servait qu’à me faire penser à des variations absolument sans intérêt. J’ai mieux à
faire de mon espace mental. » Quelle sagesse !
Et si vous avez des enfants, surtout des filles, avoir une relation apaisée, neutre, voire inexistante à cet
objet, n’est-ce pas leur faire un beau cadeau ? Laetitia a eu des problèmes avec l’alimentation, elle a avancé dessus et surtout elle a eu le déclic de jeter sa balance quand sa fille a eu quatre ans. « Je me
pesais dix fois par jour », dit Laetitia, « et ma fille a voulu faire pareil. Tout en moi a dit NON ! » et elle a
donc jeté sa balance.
Pensez à vous, à votre bien-être, et à vos filles si vous en avez. Rappelez-vous, répétez-vous que ça
n’est sûrement pas un chiffre qui vous définit. Vous être une personne globale, avec une tête, un corps, qui sont à vous, qui sont uniques, dont vous pouvez prendre soin, et en aucun cas un chiffre ne peut signifier tout ça.
Si vous voulez écouter cet épisode du podcast (le 20e), c’est par exemple ici
Visuels Parapluie-services et Djessi85
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