Parler ou pas du poids, parler ou pas dans les medias…

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Ariane Grumbach l'art de manger

Tout le monde passe son temps à commenter la silhouette, le poids des autres. Qu’il s’agisse de ses enfants, ses amies, ses collègues… Ce qui revient par exemple très fréquemment, ce sont les compliments quand on mincit comme si c’était le graal ultime. Ou des remarques déplacées auprès des enfants sous prétexte qu’ils ne correspondraient pas aux normes de beauté qu’on a intégrées. Alors qu’on devrait s’abstenir de toute remarque, dont on ne mesure pas l’impact. J’en avais fait un épisode de BCBT le Podcast, toute petite pierre sur le chemin visant à changer ce discours. 

Les medias pourraient jouer un rôle dans cette évolution nécessaire. S’ils ont conscience du rôle qu’ils jouent dans l’installation et le maintien de diktats corporels et sont réellement désireux de porter un autre discours.

Pour ma part, je me pose beaucoup de questions depuis quelque temps sur le fait de répondre ou pas aux journalistes. Cela peut prendre beaucoup de temps (bien précieux) et conduire à quelques désillusions. Comme une journaliste qui m’avait longuement interrogée pour un article de Libération, avait utilisé une bonne part de ces informations mais n’avait pas la moindre place pour me citer… Ou cette journaliste free-lance qui me sollicite pour Elle, me questionne longuement au téléphone plusieurs fois, fait plusieurs aller-retours pour faire évoluer l’angle de l’article à la demande du magazine…où mon intervention sera finalement complètement supprimée… Que de temps perdu !

Alors, pourquoi ne pas tout simplement dire non systèmatiquement à ces sollicitations ? J’y ai songé. Mais je suis bien consciente qu’ils/elles ont besoin de l’apport d’expertes. Je suis d’ailleurs référencée sur le site des Expertes qui vise à donner davantage de visibilité aux femmes expertes dans les médias. De plus, intervenir dans les médias est quand même un moyen de diffuser « la bonne parole », mes convictions, et cela peut peut-être aider ne serait-ce que quelques personnes dans leur relation à leur corps. Mais j’ai peut-être un peu trop tendance à faire confiance, à croire que si on m’interroge, c’est pour publier mon intervention… J’ai déjà avancé sur le sujet, refusant les sollicitations purement nutritionnelles, sur tel ou tel aliment, préférant celles centrées sur le comportement alimentaire, les méfaits des régimes… par exemple. Je suis également un peu sélective sur le type de médias. Faut-il aller plus loin ?

Récemment, j’ai ainsi été sollicitée par le site Madmoizelle.com pour commenter un témoignage d’une jeune femme en désamour avec son corps et n’ayant pas vraiment conscience de l’évolution de sa silhouette. Comme je n’étais pas très disponible pour un entretien au téléphone, la journaliste m’a envoyé ses questions. J’ai apprécié la richesse de la problématique et j’ai donc, un peu naïvement, passé un peu de temps à répondre. D’où une certaine déception quand j’ai lu l’article : il y avait outre mon intervention celles de Marie Lafond, psychologue, et de l’activiste anti-grossophobie Daria Marx, ce qui ne me pose pas de problème en soi, au contraire, mais forcément, cela répartit l’espace disponible…  J’avais donné des réponses beaucoup trop longues sans doute. En fait, j’avais mal compris la demande de la journaliste qui m’avait posé beaucoup de questions pour puiser dans mes réponses !

Avant de dire non à toute demande, je vois quand même une marge de progression me concernant (cela vous paraitra peut-être basique !) :

  • demander si d’autres expert(e)s ou témoins sont sollicités en parallèle,
  • me renseigner sur l’espace disponible au global et pour moi,
  • savoir qui décide des coupes éventuelles, qui valide, combien il y a d’intervenants dans la chaîne de décision.

A ce sujet, j’apprécie beaucoup désormais les podcasts où une personne est seule décisionnaire des questions, du montage éventuel, de la durée… J’ai ainsi eu le plaisir d’être présente récemment sur deux podcasts :

La petite voix, qui donne la parole à des thérapeutes au parcours souvent atypique, 

Girls in Food, qui met en valeur les femmes de l’univers de la gastronomie et de l’alimentation.

C’est d’ailleurs pour cela que beaucoup de personnes, notamment des femmes, ont créé des podcasts : pour la liberté que cela permet en termes de thèmes, d’invités, de longueur…

Pour revenir à cet article, il a quand même finalement permis des échanges intéressants sur twitter. Par ailleurs, si cela vous intéresse d’approfondir le sujet, j’ai repris ci-dessous la totalité de mes réponses. Avec les questions de la journaliste.

Mes réponses :

Quels indicateurs sur notre relation à la nourriture et à notre poids doivent nous mettre la puce à l’oreille et indiquent qu’on est peut-être atteint ou atteinte d’un type de trouble alimentaire ?

Il y a beaucoup de degrés de perturbation de la relation à la nourriture, sans aller forcément jusqu’au trouble du comportement alimentaire. Des indicateurs peuvent notamment être : la nourriture qui prend une place obsessionnelle dans la tête, qui occupe les pensées quasiment toute la journée ; se peser non seulement tous les jours mais plusieurs fois par jour et que cela ait un impact fort sur l’humeur ; voir son corps de façon totalement déconnectée de la réalité ; se déconnecter complètement de ses besoins alimentaires et manger beaucoup moins ou beaucoup plus que ses besoins soit en quantité soit en type d’aliments.

La personne qui témoigne évoque de nombreuses variations de poids, mais précise également que ses seuls indicateurs de ces variations de poids sont extérieurs (la balance, les vêtements, les commentaires des autres). Elle ne se rend pas compte qu’elle grossit ou maigrit. Est-ce que c’est un symptôme révélateur d’un type de TCA ? À quoi cela est dû ?

Je ne peux que faire des hypothèses sans la connaître. Ce n’est pas nécessairement le signe d’un TCA au sens strict. Elle est probablement assez déconnectée de son corps, que ce soit en termes de ressenti ou de regard, et c’est quelque chose qui n’est pas si rare. Je vois parfois des personnes qui ont pris 15 ou 20 kilos sans en avoir vraiment conscience : certaines personnes vivent complètement dans leur tête (ce qui peut être accentué par notre éducation occidentale qui sépare beaucoup la tête du corps) et par exemple ne ressentent pas leurs besoins physiologiques (fatigue, faim, douleur…) sauf quand cela atteint des extrêmes.

Pourquoi une perte de poids n’est pas nécessairement signe d’une meilleure santé, santé psychologique, ni de plus de confiance en soi ?

D’abord, il est important de distinguer poids et santé. On peut être très mince et pas spécialement en bonne santé avec notamment une alimentation pauvre nutritionnellement et à l’inverse en surpoids et en bonne santé car on a une bonne hygiène de vie (une bonne alimentation, du sport, pas trop de stress, un bon sommeil…). Ensuite, une perte de poids peut recouvrir beaucoup de situations différentes au départ. Chaque personne a un poids d’équilibre, un poids naturel et nous avons toutes une morphologie différente. Perdre du poids quand on est à son poids d’équilibre pour ressembler à un modèle de minceur très présent dans la société oblige à se mettre en restriction et cela peut tenir un moment mais on finit toujours pas craquer car on ne peut pas vivre éternellement dans la privation. En revanche, vouloir perdre du poids quand on est en surpoids (au-dessus de son poids d’équilibre) est différent : ce n’est pas obligatoire si on se sent bien mais on peut décider de le faire pour un meilleur confort physique, pour des raisons particulières de santé, pour mener plus agréablement certaines activités, pour avoir une relation plus tranquille à son corps dans une société grossophobe. L’important est de le faire à son rythme sans se mettre au régime. 

Pourquoi le regard extérieur a une importance si grande dans le rapport au corps et à l’alimentation des personnes atteinte d’un type de TCA ? Quel réel impact des commentaires sur le physique de quelqu’un peuvent-ils avoir sur son comportement alimentaire ?

Ce regard extérieur occupe une place très importante pour tout le monde malheureusement, pas seulement les personnes atteintes de TCA. Les remarques sur le corps trop gros, trop mince, ou sur telle ou telle partie sont fréquentes dans les familles. Cela provient du fait que tout le monde a en tête un idéal de beauté qui se construit avec l’environnement (et change selon les époques) et qu’on aimerait que ses proches (enfant, conjoint.e) s’en rapprochent. Par exemple, un parent obsédé par la minceur risque de mettre une pression délétère sur ses enfants, et davantage aux filles. Ce type de remarques déclenche très souvent un mal-être (encore présent des années plus tard) et risque de change la relation à la nourriture et à son corps. En effet, face à une remarque sur la silhouette, les fesses, les cuisses ou autre, la jeune fille pense pouvoir agir pour se conformer à ce qu’on attend d’elle. En pensant pouvoir maîtriser sa silhouette. En agissant sur son alimentation ou en se mettant parfois aussi au sport de façon obsessionnelle. Mais, si on a une silhouette avec des hanches marquées par exemple, on ne pourra pas devenir filiforme, on ne peut pas raboter ses os !

Dans le témoignage de cette femme, elle évoque une notion de punition dans ses variations de d’alimentation (ne manger que des légumes le soir devient un objectif et une punition qu’elle s’inflige), est-ce que cette notion est courante chez des personnes atteintes de TCA ? Quel impact peut avoir cette dynamique sur la personne ? Qu’est-ce que cela reflète ?

A lire le témoignage de cette jeune femme, je ne dirais pas qu’elle souffre de TCA au sens strict. Elle a une relation perturbée à la nourriture et à son corps qui est malheureusement ultra-fréquente… En effet, comme je l’indiquais plus haut, la restriction n’est pas tenable car elle est ressentie comme quelque chose d’anormal, de triste où on perd le plaisir de manger ce qu’on veut. Comme elle ressent cela comme une punition, cela va la mettre de mauvaise humeur, et peu à peu, elle en aura assez et elle craquera sur des aliments qu’elle s’interdit. C’est ce qui crée le phénomène du yoyo bien connu, on perd du poids et on reprend davantage à chaque tentative. Pour ma part, j’aide les personnes à prendre conscience qu’on peut retrouver son juste poids en mangeant de tout.

Quelles sont les premières étapes, les premières choses à faire/travailler/vers lesquelles tendre pour aller vers une meilleure harmonie avec soi-même et avec son alimentation ?

Cela dépend de chaque personne, de son histoire, de son mode de vie. Il y a différentes phases dont l’ordre peut varier : arrêter de se priver, réapprendre à manger de tout, se réconcilier avec les mauvais qu’on considère comme “mauvais”, écouter ses sensations de faim et de rassasiement et reprendre confiance en son corps. Travailler sur Concernant la relation qu’on a avec son corps, il y a un travail d’acceptation qui peut prendre diverses formes : cela comprend notamment d’être consciente de ses pensées jugeantes, des émotions qu’on ressent quand on se regarde (sans essayer de les fuir), et développer peu à peu davantage d’auto-bienveillance. 8 – Pourquoi est-ce qu’il est important de consulter quand on a ce type de troubles, et vers qui se tourner ? Si on a l’impression de tourner en rond, de penser trop à la nourriture, de sentir qu’on n’arrive pas à avancer, il faut accepter de se faire aider. Et le plus tôt est le mieux. Une diététicienne formée à une approche du comportement alimentaire (et non une diététicienne qui mettra au régime !) peut accompagner cette jeune femme. Selon le type de difficultés ressenties, de fragilités, il peut être nécessaire d’associer cela à un travail avec un psychologue. D’autres approches corporelles (yoga, danse, …) peuvent aider aussi à changer aussi la relation à son corps.

Et vous, que pensez-vous de cette question des médias ?  Si vous avez des suggestions pour fiabiliser la relation avec les journalistes, les médias, je suis preneuse !

4 réponses
  1. chantal SEVESTRE
    chantal SEVESTRE dit :

    Pourquoi ne pas prendre que les émissions radio ou télé en direct ? Papier, il est vrai qu’il n’est pris que la direction que la journaliste veut donner à son article et l’espace est plus restreint, le sujet survolé, peut être aussi. Une idée, d’autres préconiseront peut être autre chose.

    Répondre
    • Ariane Grumbach
      Ariane Grumbach dit :

      @Chantal merci du conseil, il m’arrive en effet d’interveir à la radio dans des émissions en direct, malheureusement avec parfois vraiment trop d’intervenants dans une même émission

      Répondre
  2. marie-aude
    marie-aude dit :

    Ariane, c’est article est très pertinent, il m’arrive aussi régulièrement d’être interrogée par des journalistes… ils te laisse peu de droit de regard et de relecture… en fin de confinement, j’ai même une journaliste qui m’a demandé de lui donner des coordonnée de patients qui avaient pris du poids pendant le confinement…. quand ton métier est de soigner, tu fais confiance … tu penses que tous métier à une éthique…. et effectivement cela peu créer des surprises. Je note précieusement tes conseils! merci

    Répondre

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